Création d'emploi : place aux handipreneurs !
LE MONDE ECONOMIE | • Mis à jour le Par Sébastien Dumoulin
Pierre-Louis Jominy a 41 ans, deux enfants, et vient de monter à Paris sa petite entreprise de massage. "Il y a un marché à prendre", s'enthousiasme cet ancien cuisinier qui a dû abandonner les fourneaux pour un petit boulot dans une grande surface après avoir quasiment perdu la vue il y a plus de quinze ans. "Je n'arrive pas encore à en vivre, mais c'est normal pour une première année. Je n'ai pas plus le droit à l'erreur que n'importe qui. C'est très excitant", sourit-il.
Alors que la Semaine pour l'emploi des personnes handicapées met sous les projecteurs la position difficile des actifs en situation de handicap, ils sont des milliers, comme M. Jominy, à créer leur propre emploi.
L'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) accompagne ainsi environ 3 000 projets par an qui bénéficient d'une subvention pouvant aller jusqu'à 12 000 euros. En 2011, la délégation générale de l'emploi et de la formation professionnelle (DGEFP) comptait 58 000 travailleurs handicapés indépendants, soit 7 % de la populationactive en situation de handicap.
"Il y a de tout : une sandwicherie, de la production musicale, de l'hébergement d'animaux domestiques, un centre d'appels, des kinés, des avocats...", énumèreDidier Roche, fondateur de la chaîne de restaurants Dans le noir. En 2010, il a créé l'Union professionnelle des travailleurs indépendants handicapés (Uptih), qui propose aux créateurs un accompagnement individualisé avec un tuteur bénévole.
TOUT SIMPLEMENT UNE OPPORTUNITÉ
Parmi les motivations, le chômage - il touche plus durement les personnes handicapées - joue un rôle évident, même s'il serait réducteur d'en faire l'unique moteur des handipreneurs. Cela peut être tout simplement une opportunité, comme pour Patrice Faucogney, le patron de Vipamat. Suite à l'accident qui l'a rendu paraplégique, il a imaginé un fauteuil lui permettant de continuer à aller à la plage et s'est vite rendu compte de son potentiel commercial. Sa société en écoule désormais 500 par an, fabriqués à Ploemeur (Morbihan) et exportés jusqu'aux Etats-Unis.
Pour Olivier Adam, il y avait l'envie irrépressible de créer. Depuis 2000, ce dernier a fondé une entreprise de développement de logiciels, un cabinet de conseil et une société de production. Et il en redemande : "Comme je dis souvent, à chacun son handicap. Il faut savoir en jouer, faire d'une contrainte une opportunité."
Dineta Mendy, une dynamique quadragénaire en fauteuil, veut lancer sa structure de conseil aux entreprises sur la question du handicap et lutter ainsi à sa façon contre le manque de perspectives. "Souvent, une personne handicapée est sous-estimée. C'est l'handicapé de service. Moi qui travaille dans une collectivité, je vois que mes chances d'évolution sont limitées."
DÉTERMINATION, TÉNACITÉ, VISION DE LONG TERME
Pleinement consciente de ces contraintes, elle ne s'affole pas. "Si demain j'acquiers une voiture de société, il me faudra ajouter le coût de l'aménagement",explique-t-elle. "Mais je sais ce que je vaux et je n'ai pas froid aux yeux."
Vivre avec et surmonter un handicap suppose détermination, ténacité, vision de long terme... des qualités utiles pour entreprendre. Et si tout n'est pas rose, les handipreneurs admettent être aujourd'hui moins démunis. L'Agefiph se félicite d'ailleurs, dans un rapport interne, de la pérennité des entreprises créées avec son soutien.
Ainsi, 75 % d'entre elles dépassent le seuil des trois ans, soit 13 points de plus que pour les sociétés créées par l'ensemble des chômeurs créateurs. Certes, ce chiffre est à relativiser, puisque des revenus d'activité très faibles peuvent, sous condition, être complétés par l'allocation adulte handicapé (AAH).
Le même rapport de l'Agefiph montre que "les entreprises créées sont de très petite taille. Huit sur dix n'emploient pas d'autre personne que le créateur lui-même. Et pour celles qui sont toujours en activité à l'échéance moyenne de trois ans, le chiffre d'affaires annuel moyen est de 54 300 euros, 20 % réalisant moins de 15 000 euros."
Sébastien Dumoulin
Cela fait vingt-cinq ans que la loi contraint tous les établissements d'au moins vingt salariés à employer des personnes handicapées, avec un minimum de 6 % de l'effectif total.
Pourtant, et malgré le renforcement depuis 2005 des contributions à verser en cas de non-respect de ce quota, les résultats sont loin du compte. Le taux d'emploi dans les trois fonctions publiques atteignait 4,22 % au 1er janvier 2010, avec un bonnet d'âne pour la fonction publique d'Etat à 3,31 %.
Dans le secteur privé, le taux d'emploi était de 2,8 % en 2010, selon les dernières données du ministère du travail. Quant au nombre de demandeurs d'emploi handicapés, il s'établissait à 332 565 fin mars 2012, en hausse de 14,7 % sur un an, contre 6,2 % pour l'ensemble de la population active, selon l'Agefiph.
Dans " Le Monde Eco & entreprise " daté mardi 13 novembre ou sur le Monde.fr :
- Entretien avec le sociologue Norbert Alter, qui explique en quoi la différence, source d'exclusion, ralentisseur de carrière, peut devenir une force : " Les dirigeants en situation de handicap ont une efficacité anormale ", propos recueillis par Anne Rodier.
- Les pièges à éviter pour les jeunes diplômés en quête d'un travail, par Margherita Nasi.
- Offres et recherches d'emploi, le handicap conquiert le Web, par Margherita Nasi.
- François Goudenove, PDG " malgré lui ", préside aux destinées de Websourd, par Stéphane Thépot.
- Le trouble psychique reste méconnu, par Léonor Lumineau.
- Des formations spécifiques et adaptées, par Margherita Nasi.
- Faire sourire, changer le regard, par Sébastien Dumoulin.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/11/12/creation-d-emploi-place-aux-handipreneurs_1789154_3234.html
