mercredi 5 février 2014

Créer une entreprise sans argent ; Par Yvon Gattaz

FINANCER SA CRÉATION


Créer une entreprise sans argent

Par Yvon Gattaz * | 04/02/2014

Dans son dernier ouvrage, "Création d'entreprise : la double révolution", à paraître le 6 février, Yvon Gattaz, lui-même créateur d’entreprise et figure du patronat, propose une analyse de l’actuel engouement des Français, et notamment des jeunes, pour l'entrepreneuriat. Extrait.

financement scréation sans argent
Crédits photo : shutterstock.com
Les jeunes, que nous questionnons à Jeunesse et Entreprises sur leurs motivations et leurs appréhensions à créer une entreprise nouvelle, nous répondent fréquemment qu'ils craignent de ne pouvoir réunir les fonds nécessaires à cette création. Et, curieusement, plus leur niveau d'instruction est élevé, plus ces craintes sont fortes.
Or j'ai expliqué plus haut que, dans mes nombreuses interventions, je n'ai jamais rencontré de projet d'entreprise de qualité qui n'ait pu se réaliser par manque de fonds. Cette recherche est difficile, certes, mais nullement impossible et, de plus, ce parcours du combattant est tout à fait instructif et formateur pour un apprenti-entrepreneur qui rencontrera dans sa carrière des problèmes encore plus difficiles. Un bon entraînement, en quelque sorte.

Une aventure à la portée de tous

Comme je l'ai signalé, les sources de financement, très partielles il est vrai, sont de plus en plus nombreuses en France et l'utilisation performante du Web par les jeunes, qui le manient agilement, leur permet de détecter ces sources et de les contacter pour présenter leur dossier. On peut regretter que la France compte dix fois moins de business angels que la Grande-Bretagne, mais une prise de conscience s'effectue actuellement chez nos dirigeants politiques et l'on peut espérer que desincitations fiscales seront enfin trouvées pour assurer leur multiplication.
Par ailleurs, si la création d'entreprises industrielles exige des capitaux importants, pas faciles à réunir, on sait que la grande majorité des créations d'entreprise se réalise aujourd'hui dans le Web, qui exige par bonheur peu de fonds de départ. Un démarrage en douceur dirons-nous.
Création d'entreprise, la double révolution
couverture livre Yvon Gattaz
Crédits photo : Eyrolles
Yvon Gattaz a crée Radiall, à ses débuts PME familiale, aujourd'hui groupe multinational spécialisé dans la conception et la fabrication d'équipements électroniques, dirigé par son fils Pierre.
Ancien président -de 1981 à 1986- du CNPF (devenu le MEDEF), Yvon GATTAZ milite dans le cadre de l'association Jeunesse et Entreprises. Il est l'auteur de " Création d'entreprise, la double révolution" (Eyrolles, sortie le 6 février)

Le manque d'argent, entre mythe et prétexte

Le manque d'argent devient souvent un mythe et peut même être un prétexte pour ceux qui cherchent des alibis pour ne pas se lancer dans cette aventure à hauts risques mais hautement passionnante, comme le prouvent les textes enthousiastes des grands créateurs qui ont bien voulu nous apporter leurs témoignages ci-après.
Bien que nous ayons montré clairement nos réserves vis-à- vis de l'argent et de ses manipulations audacieuses, il faut bien admettre qu'il est recherché pour le démarrage et surtout pour la croissance de la nouvelle entreprise, croissance que nous prônons avec insistance. Mais réjouissons-nous des nombreux mécanismes qui ont été récemment mis en place en France pour ces financements. Dans ce domaine, les retours que nous avons de nos filleuls sont très positifs.
Yvon Gattaz
Crédits photo : ©Guillaume de Fenoyl
Yvon Gattaz
En un mot, on peut créer aujourd'hui une entreprise sans être le fils de Rockefeller. L'aventure est à la portée des diplômés désargentés, comme nous l'avons été nous-mêmes il y a bien longtemps pour la création ex nihilo d'une entreprise qui était, elle, industrielle avec des machines-outils coûteuses. L'ordinateur acheté à crédit paraîtra aujourd'hui très bon marché.
Je ne donnerai pas ici les bonnes adresses que l'on peut trouver à l'APCE, auprès de nombreux guichets et même sur Internet. Les chemins, parfois mal balisés, sont nombreux. Il y a d'abord l'argent de proximité familiale qu'il est bon d'appeler « love money », puis la générosité des internautes, cfinancement participatif que les Français appellent crowdfunding (le leader Kickstarter a clos un projet de console de jeux à près de 7 millions d'euros et quarante-trois mille contributeurs, et on peut citer aussi Indiegogo, KissKissBankBank et My Major Company, très efficaces), puis les prêts d'honneur comme celui octroyé par Réseau Entreprendrepuis lescourtiers en crédit auprès des banques plus accessibles, ainsi que les prêts Nacre et Arce (de Pôle Emploi), les business angels, les fonds d'investissement du Net, les capital-risqueurs (comme Intel, qui a déjà investi un milliard et demi de dollars dans les technologies de l'information), les organismes nationaux comme la Caisse de Dépôts et Oseo, la nouvelle BPI, sans oublier les collectivités locales, qui se montrent parfois généreuses.
Il est vrai que certaines start-up ont besoin, dès le départ, de capitaux importants et il serait bon que ce capital-risque s'intéresse de plus près aux nouvelles entreprises vraiment innovantes « qui peuvent rapporter gros », puisque l'importance ultérieure de la réussite est, nous l'avons vu, fonction de la réelle nouveauté du projet. Précisément, cette ultra-nouveauté et ce non-conformisme peuvent faire peur aux financiers traditionnels qui n'ont pas forcément le même goût du risque que l'entrepreneur.

Attention aux aléas du financement

Jeunes créateurs, méfiez-vous toutefois que cette recherche de financement de départ ou de croissance ne se transforme subrepticement en une nouvelle activité : la subsidiologie. On sait que la France débrouillarde compte quelques as parmi les individus et les entreprises pour la détection et l'obtention d'innombrables aides qui étoilent le ciel entrepreneurial français. La Cour des comptes a d'ailleurs dénoncé la multitude de ces aides qui s'élèveraient à plusieurs centaines et a demandé leur regroupement.
Pour ma part, nous l'avons vu, j'ai toujours conseillé la prudence financière à mes jeunes entrepreneurs, car il faut prévoir les coups durs et les crises. Et c'est là que les prudents résistent, alors que les super-endettés disparaissent. Comme dit élégamment Warren Buffett : « C'est quand la mer se retire que l'on voit ceux qui n'avaient pas de maillot. »

L'autofinancement pour le développement

Mais attention ! Si vous avez organisé le financement de la création, il vous faudra établir solidement celui de votre indispensable croissance. Là, sachez que la méthode royale reste l'autofinancement, qui consiste, suivant la tradition paysanne et ancestrale, à casser la tirelire pour réaliser un investissement. Cette technique a ses limites, car elle exige une forte marge bénéficiaire, généralement obtenue, nous l'avons vu, par l'originalité et l'exclusivité du produit ou du service, ainsi qu'un monopole de fait, même provisoire, permettant des prix de vente confortables, en attendant les contraintes de la concurrence prochaine.
Les théoriciens de l'économie accusent parfois l'autofinancement de limiter la croissance. Cependant, les enquêtes que nous avons réalisées à Asmep-ETI auprès des meilleures ETI françaises ne nous ont jamais prouvé que l'ouverture du capital accélérait la croissance, alors que c'était la divine croissance qui imposait l'ouverture. Voilà les facteurs rétablis dans leur véritable ordre.
TÉMOIGNAGE
  • Retrouvez demain un nouvel extrait de l'ouvrage d'Yvon Gattaz, avec le témoignage de Xavier Niel, l'emblématique créateur de Free.
Les néoentrepreneurs qui refusent l'ouverture de leur capital préfèrent souvent des prêts à moyen ou long terme qu'ils assimilent à des capitaux propres, sans dilution. Mais ils manient les dettes et leurs finances avec une infinie prudence, dont il faut les féliciter. Ils pensent que si Louis XVI n'avait pas renvoyé Turgot et ses projets d'économie en 1776, puis Necker le 13 juillet 1789 qui lui « parlait trop finances », il n'y aurait peut-être pas eu les événements dramatiques que nous savons.

De l'endettement raisonnable à l'endettement risqué

De l'endettement raisonnable à l'endettement risqué, la glissade était inévitable et les meilleurs esprits qui, naguère, trouvaient des technologies nouvelles, se sont ingéniés (car c'était souvent des ingénieurs) à découvrir des mécanismes financiers fondés sur la dette, le risque et le jeu. Ils sont devenus des artistes de la trajectoire tordue. Ce fut l'«auri sacra fames » de Virgile, que nous traduisons de façon populaire par cette « sacrée soif de l'argent » en transformant, qu'on pardonne notre alchimie, la faim en soif, et l'or en argent.
Le jeu de l'argent est grisant. Mais les séismes sont dévastateurs. Rappelons que la dette est une maladie perfide : elle est à la fois indolore et fatale. En effet, cette innocuité apparente se termine parfois mal, la vraie douleur n'apparaissant qu'au moment de l'échéance, parfois irrémédiable. En fait, la dette n'est souvent qu'une formulation élégante de l'impéritie. Le Prix Nobel d'économie, l'économiste américain Robert Solow, incite lui-même à « l'épargne, l'investissement et l'innovation », ces trois objectifs permanents des chefs d'entreprises durablement performantes.
On comprend mieux cette méfiance des jeunes entrepreneurs vis-à-vis de la finance, de la dette et de la spéculation qui constituent pour eux de nouveaux spectres à éloigner, sauf pour ceux qui créent précisément des entreprises financières. Ils comprennent mieux le principe de Jeunesse et Entreprises à leur intention : « Le malheur est dans le prêt » qu'il ne faut pas extrapoler à l'infini. Ils savent aussi qu'une forte dette peut souvent conduire à une forte diète ultérieure. On le voit, vous pouvez créer une entreprise nouvelle, même si vous n'avez pas d'argent personnel.


source : http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/financer-sa-creation/creer-une-entreprise-sans-argent-59743.php