mardi 23 octobre 2012


CRÉATION D'ENTREPRISE


22 octobre 2012
         

Jeunes créateurs : quand la création n’attend pas le nombre des années


Louis Haincourt, créateur de Dealer de Coques
Ils sont jeunes, et même très jeunes : à moins de 18 ans, certains ont déjà franchi le cap de la création d’entreprise. Embuches, débrouilles et vraies ambitions : rencontre avec ces « bébés créateurs » prometteurs.
Valérie Talmon



Les créateurs d’entreprise de demain sont les jeunes d’aujourd’hui. Certains n’attendent d’ailleurs même pas d’avoir passé leur bac pour se lancer dans le grand bain. Un phénomène encore marginal mais qui attire l’attention.Lire la suite


Des créateurs sur les bancs de l’école

Les créateurs d’entreprise de demain sont les jeunes d’aujourd’hui. Certains n’attendent d’ailleurs même pas d’avoir passé leur bac pour se lancer dans le grand bain. Un phénomène encore marginal mais qui attire l’attention.

«Il faut faire découvrir l'entreprise et les métiers dès la sixième» : dans une interview accordée début octobre aux Echos, Vincent Peillon, ministre de l’Education nationale, affirmait que l’école et l’entreprise ne devaient plus fonctionner en vases clos. Un chantier de taille qui vise à créer une vraie politique d’orientation métier, mais aussi à diffuser l’esprit d’entreprise dès le plus jeune âge. Un défi auquel s’attèle depuis plusieurs années Philippe Hayat, créateur de l’association « 100 000 entrepreneurs ». Dans son rapport remis à Fleur Pellerin, Philippe Hayat enfonce d’ailleurs le clou : il préconise des campagnes de publicité pour promouvoir l'entrepreneuriat, une meilleure sensibilisation des élèves, dès le collège, à la création d'entreprise, ou encore des filières spécifiques dans les écoles de commerce (qui existent en partie) mais aussi à l'université. Car les acteurs de l’entrepreneuriat sont tous d’accord : c’est en sensibilisant très tôt à l’entrepreneuriat que la création d’entreprise peut vraiment prendre son élan.
La création par les (très) : encore un épiphénomène mais…
Une bande d’ados scotchés devant leur écran d’ordinateurs, d’autres conversant via twitter sur le look d’un nouveau tee-shirt…  Crise d’adolescence ? Non. Ces jeunes ont pour point commun, outre leur jeune âge, d’être devant leur ordinateur car ils ont créé un site de e-commerce ou ont lancé leur propre marque. Ceci en parallèle de leurs études. Certes, ils sont encore très peu à créer leur entreprise à moins de 18 ans. D’ailleurs, pas vraiment de chiffres officiels en la matière. Et de fait, la loi est encore peu adaptée à ce phénomène, et nombre de jeunes la contournent en se débrouillant : activité non déclarée ou par le biais d’un prête-nom, par exemple. Les étudiants, eux, sont un peu plus nombreux. Notamment ceux qui complètent leurs faibles ressources en étant auto-entrepreneurs. Ces « bébés-entrepreneurs » restent donc un épiphénomène, mais nombre de dispositif commencent à prendre en compte ces nouvelles aspirations pour doper l’esprit d’entreprise chez les jeunes.
Mineur et créateur : ce que dit la loi

Un mineur peut-il créer ou reprendre une entreprise ? Tout dépend en fait de l'activité,  de la structure juridique choisie, et de sa situation : mineur émancipé ou non émancipé. Par exemple, en entreprise individuelle classique, le mineur doit être émancipé et, s’il veut être commerçant, obtenir en parallèle un accord du juge. Pour un mineur non émancipé, mis à part dans le cadre d’une association, les possibilités sont restreintes. Le plus souvent, les entrepreneurs mineurs créent, mais sous la responsabilité d’un adulte qui effectue les démarches en leur nom, ou alors en déléguant la direction de leur société à une personne majeure. Les CCI et réseaux d’accompagnement à la création pourront vous renseigner.
Le réseau des Chambre de Commerce et d’Industrie a élaboré un livre blanc incluant notamment 3 propositions fortes concernant l’entrepreneuriat des jeunes : « Dans nos Chambre de commerce, nous voyons en effet de plus en plus de jeunes, explique Sandrine Wehrli, déléguée générale de CCI-Entreprendre en France. C’est sans doute lié au dispositif d’auto-entrepreneurs, car beaucoup d’étudiants se sont lancés grâce à cela afin d’avoir un complément de revenus. Notre constat : l’entrepreneuriat n’est pas encore entré dans l’ADN de la formation des jeunes. C’est encore vu comme un accessoire. Nous, nous préférons envisager l’entrepreneuriat chez les jeunes comme un apprentissage à l’approche projet. Aujourd’hui, être capable d’identifier les besoins, déterminer des objectifs, trouver des partenaires, réaliser un rétroplanning : tout ceci est non seulement important pour créer une entreprise mais aussi plus globalement dans le monde de l’entreprise (intrapreneuriat). Les jeunes ont moins peur de prendre des risques, ils n’ont pas de complexes. Mais c’est moins vrai après des études longues. Aujourd’hui, il y a plus de créateurs chez les jeunes munis d’un BEP que chez les bac+12. On enseigne trop à ses derniers la notion de risque ! »
Une option « entrepreneuriat » au Bac ?
Le Livre Blanc des CCI préconise donc de créer un défi Entrepreneuriat Jeunesse, calqué sur un dispositif québécois qui consiste à faire prendre conscience à chaque enfant de ses compétences, aptitudes et talents à travers des expériences entrepreneuriales. Autre proposition : la création d’une option « entrepreneuriat » au bac. Ici, les lycéens pourraient choisir une option entrepreneuriat et élaboreraient un projet de création en équipe avec un professeur référent. Si, pour les étudiants, le dispositif Pôles Entrepreneuriat Etudiants a fait ses preuves,  les CCI proposent de permettre à tout apprenti qui souhaiterait créer ou reprendre une entreprise de bénéficier de la « conduite accompagnée des créateurs/repreneurs d’entreprise », sur le modèle de l’apprentissage de la conduite automobile.
Des dispositifs  pour doper l’entrepreneuriat chez les jeunes

-Concours : Graines de Boss (www.grainesdeboss.fr), Moovjee (www.moovjee.fr/)
- « 100 000 entrepreneurs » : association d’intérêt général qui a pour vocation de transmettre la culture et l’envie d’entreprendre aux jeunes de 13 à 25 ans , avec notamment des chefs d’entreprise qui viennent faire découvrir leur démarche dans les établissements scolaires.(www.100000entrepreneurs.com/)
-Association Entreprendre pour apprendre, qui développe notamment le programme mini-entreprise, où des groupes de jeunes à l’école, en structure d’insertion ou en centre de formation développent leur projet de création (www.entreprendre-pour-apprendre.fr/)
-Aides : il existe quelques aides spécifiques pour les jeunes, comme CréaJeunes, de l’Adie. Renseignez-vous auprès de réseaux d’accompagnement ou les réseaux Information Jeunesse.
















Louis Haincourt, 17 ans : Dealerdecoques.fr, petit business devenu grand

Pour attraper Louis Haincourt au vol, il faut être vif. A 17 ans, le jeune créateur de Dealerdecoques jongle avec ses différentes casquettes (lycéen, entrepreneur) sans état d’âme, sans difficulté. La seule, pour nous, c’est de le suivre !

Entre une livraison de colis et la préparation d’une dissert’ de philo pour le lendemain, Louis se confie. « Je venais de passer mon brevet des collèges, il y a deux ans, et j’ai eu mon premier smartphone. J’ai eu envie de coques de téléphones originales. Je n’en ai trouvé que sur un site de e-commerce chinois. Les prix étaient bas, car il ne livrait qu’en colis de 100. » Pas grave, Louis craque et achète donc ses 100 coques de téléphones : « J’en ai gardé 10 pour moi. Pour le reste, des amis m’en ont acheté, et j’ai passé des petites annonces sur Leboncoin.fr. Et tout est parti très vite. » Sur sa lancée, Louis, à tout juste 15 ans, renouvèle l’expérience : « C’est devenu un vrai petit business, mais non déclaré. A Noel, les demandes ont explosé. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait vraiment que je cadre les choses. »
Il peut diriger une société, mais pas avoir un compte bancaire professionnel !
Avec une mère bibliothécaire et un père conducteur de train, Louis n’a pas dans son entourage de modèle entrepreneurial. Pourtant, il se lance. « Malgré la loi du 1er janvier 2011 autorisant la création d’entreprise aux mineurs de plus de 16 ans, cela a été le parcours du combattant. Texte de loi flou, voir non applicable au début : j’ai du prendre des experts, un avocat également pour m’assister dans mes démarches. Mon cas est remonté jusqu’au ministre des PME de l’époque, Hervé Novelli ! J’ai mis trois moins avant de pouvoir créer mon EIRL. Durant cette période, j’ai donc du mettre mon activité au repos forcé, ce qui m’a valu de redescendre sérieusement dans le classement Google. »
Parmi les autres casse-tête qu’a rencontrés le jeune homme, l’impossibilité d’ouvrir un compte professionnel pour un mineur. Pour le moment, il jongle avec plusieurs comptes bancaires personnels ! « Il y a aussi la question des cotisations au RSI (Régime social des indépendants). Agé de moins de 18 ans, je ne peux y cotiser, mais je pense qu’ils me demanderont des comptes à ma majorité. Pour éviter un choc de trésorerie, je provisionne donc un compte, au cas où ». Prévoyant !
Les résultats sont là puisque Louis, avec une mise de départ de 100 euros, devrait cette année afficher un chiffre d’affaires de 55 000 euros.
Totalement autodidacte, Louis assume : « Je savais créer un site web. Pour le reste, je veux apprendre par moi-même, quitte à faire des erreurs. C’est le meilleur moyen de me rôder. Mon père m’aide pour la comptabilité, et ma mère pour préparer les colis. Mes parents ont eu un peu peur au début face à l’ampleur de cette activité. Aujourd’hui, ils voient que j’y arrive. Mes profs aussi ont compris. Les ados de mon âge ont une autre vie après le lycée, par exemple en jouant à des jeux vidéo. Moi, c’est mon entreprise, et j’adore ça. » Actuellement en Terminale, Louis consacre entre 10 et 15 heures par semaine à son entreprise. Son avenir ? « J’aimerais beaucoup intégrer Sciences Po. Dans ce cas, je déléguerai sans doute la gestion du site à quelqu’un. Mais j’ai vraiment le goût d’entreprendre. Créer, c’est excellent ! » Un enthousiasme communicatif puisque Louis a été contacté par d’autres jeunes souhaitant eux aussi se lancer dans l’aventure.

Yoann Wenger, 19 ans, Sans Nom Clothing : « A 17 ans, on ose davantage ! »

Avec son ami Romain, Yoann a créé une ligne de tee-shirt qui cartonne. A 19 ans, ils ont déjà deux ans d’expérience… et plein de projets.

Créateur d’un blog qui traitait de l’actualité lyonnaise à 15 ans, Yoann Wenger confie avoir toujours été très attiré par le milieu de la mode et des créateurs. Quoi de plus normal alors que de créer, avec un ami, Romain Sabatier, une ligne de tee-shirt ? « Nous avons commencé à l’unité, comme n’importe qui peut le faire. A l’époque, j’avais un petit boulot dans une boutique de vêtement. Le patron a été séduit par nos tee-shirts. Voilà comment tout a commencé. Nous avons retravaillé les visuels et lancé la première production. En fait, Romain et moi n’avons jamais vraiment pensé que cela aboutirait la création d’une entreprise ! » Sans Nom Clothing est donc une très jeune marque de vêtements, des tee-shirt pour le moment, dont l’originalité est d’être basée sur la collaboration des deux jeunes avec des photographes américains ou anglais, avec qui ils élaborent le graphisme dans un esprit urbain, inspiré de la culture skate par exemple. Et surtout de bonne qualité, avec des tissus bien choisis. « Les débuts ont été durs, car avec nos 17 ans, on n’était pas pris au sérieux quand on démarchait les distributeurs. Mais c’est aussi devenu un atout : notre âge a attiré l’attention lors de la Fashion Week. » Yoann et Romain, sans entrepreneur dans leur entourage, ont du tout apprendre sur le terrain, notamment pour le choix crucial du fournisseur : « les professionnels ne veulent pas partager le nom de leurs fournisseurs ! , lance Yoann, mais nous en avons finalement trouvé plusieurs, des Français, ce qui nous permet de ne pas dépendre d’un seul. C’est important ! »
Premières démarches à la CCI, cartable sur le dos !
Côté financement, les deux jeunes se « débrouillent » avec les moyens du bord : « Quand ont est jeune, c’est à la fois facile de créer car on n’a pas de charge de famille, et notre naïveté nous permet d’oser un peu plus, mais aussi plus dur : à moins d’être dans une famille aisée, nous n’avons pas d’argent, pas de réseau. Pour payer la première facture du fournisseur, 2000 euros, nous avons demandé à nos parents de nous avancer la somme. Ensuite, tous les bénéfices ont à chaque fois été réinvestis pour financer la collection suivante. Notre but actuel n’est pas de faire de l’argent : on vit chez nos parents, nous sommes encore étudiants. Nous n’avons pas de gros besoins, hormis le fait de faire vivre notre marque. »Sans avoir vraiment anticipé la création d’une entreprise, les deux jeunes pensent tout d’abord lancer une SARL : « mais nous n’avions pas les moyens d’apporter le capital nécessaire. Pour nos deux premières années, nous avons donc opté pour le statut d’auto-entrepreneur, à mon nom. C’est parfait pour tester la viabilité de notre marque. D’ailleurs, nous avons quand même déposé cette marque à l’INPI. On verra ensuite ! » Pour s’orienter dans les démarches à accomplir, les deux jeunes pensent aller à la Chambre de commerce. Seul hic : les horaires étaient incompatibles avec l’emploi du temps des deux lycéens : « Finalement, c’est grâce à l’absence d’un prof qu’on a pu aller à la CCI, avec nos cartables sur le dos !, se souvient Yoann.
L’an dernier, la jeune auto-entreprise a réalisé un chiffre d’affaires de 5000 euros, avec deux collections. « Cette année, l’année du bac, nous avons un peu mis l’activité en sommeil, car nous voulons préparer l’avenir : nous réfléchissons à un vrai business plan, à la compta, etc. Nous avons appris les bases pendant ces deux premières années, et nous voulons maintenant redémarrer avec quelque chose de plus solide, avec un vrai réseau de distribution, par exemple. » Actuellement, Yoann est étudiant en information et communication, tandis que Romain prépare un BTS de commerce international : « Nous voulons vraiment concilier les deux. Je ne veux pas arrêter avant d’avoir au minimum une licence par exemple, car les études sont indispensables aujourd’hui. » Les pieds sur terre, donc !

Philippe Hayat : « Notre enseignement laisse encore peu de place à l’esprit entrepreneurial »

Rencontre avec Philippe Hayat, fondateur de l'association 100 000 Entrepreneur et auteur du rapport sur l’entrepreneuriat remis à Fleur Pellerin.

Quel regard portez-vous sur la création d’entreprise par les jeunes ? 
Philippe Hayat : L’envie est là. Mais on note également une grosse aversion des jeunes au risque. Leurs freins sont la peur de l’échec. Ils déclarent aussi souvent n’avoir pas d’idée, pas d’argent, pas de réseau. Au final, beaucoup de freins d’ordre psychologique, mais pas seulement. Au-delà de verrous de fait, comme l’argent, les jeunes fantasmes aussi beaucoup sur la difficulté d’entreprendre
Un manque de culture entrepreneuriale ? 
Absolument. C’est pour cela que nous avons lancé l’association « 100 000 entrepreneurs », un réseau de 3000 chefs d’entreprise qui se rendent dans les collèges, les lycées, etc. dans une dizaine de régions. Notre vocation est de sensibiliser à l’acte entrepreneurial, de mieux faire comprendre les univers professionnels, et de mettre en perspective l’importance des études dans le cadre d’un projet de création.
Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui ? 
La faible diffusion de l’esprit entrepreneurial. La majorité de jeunes niveau Bac à Bac+5 n’ont jamais été sensibilisé à cela. Certes, il existe aujourd’hui des formations entrepreneuriales : mais cela ne concerne en gros que 10 à 30 écoles type école de commerce en France. Et la peur de l’échec reste très ancrée dans la culture française. A l’Essec, où j’ai créé une filière entrepreneuriale il y a 15 ans, les étudiants sont seulement une trentaine par an à se lancer dans la création, sur des promotions de 500 ! C’est bien, mais trop peu ! La France est en retard par rapport aux Etats-Unis, l’Amérique latine, l’Inde... Notre enseignement laisse peu de place à l’esprit entrepreneurial. Par exemple, au lycée, les deux heures hebdomadaires d’accompagnement sont parfois utilisées pour rapprocher les jeunes de l’entreprise, et de la création d’entreprise… mais en général seulement dans les lycées dits « difficiles ». Pour les bons élèves, les lycées plus classiques, ces deux heures servent à réviser les math, la physique. L’entreprise n’est pas réservée à ceux qui ont des difficultés ! Heureusement, cela change peu à peu.
Dans le rapport sur l’entrepreneuriat que vous avez remis à Fleur Pellerin, des propositions concernent-elles les jeunes ? 
Oui. Afin de créer de vraies entreprises de croissance, je propose de travailler sur plusieurs axes. Et cela passe notamment par la popularisation de l’esprit entrepreneurial, avec l’accent mis sur les jeunes pour trouver comment les encourager à entreprendre !
Un conseil aux jeunes ? 
Quand on est jeune, il est trop tôt pour faire des compromis. Vous n’avez pas grand-chose à risquer à suivre vos envies, et ce sera plus compliqué ensuite.  Mais attention, pas d’illusion : la création d’entreprise est possible, mais complexe, d’où l’importance de se faire accompagner, de bien préparer son projet. Commencez par exemple par démarcher 20 clients potentiels : c’est très formateur ! En bref, ayez la tête dans les étoiles, et les pieds sur terre !
Valérie Talmon

source : http://entrepreneur.lesechos.fr/entreprise/creation/dossiers/bebes-createurs/des-createurs-sur-les-bancs-de-l-ecole-10022858.php