mercredi 19 octobre 2011

Ce que l'EIRL va vraiment changer

L'entrepreneur individuel à responsabilité limitée est né. Surprise : ce nouveau régime juridique rate son objectif initial, mais présente des avantages inattendus...

Jusqu'à fin 2010, une personne voulant entreprendre sous son nom, sans créer de société, n'avait qu'une possibilité : se lancer en entreprise individuelle (EI). Depuis début 2011, il existe une autre option : démarrer comme entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). Enquête sur les points forts et les points faibles de cette nouvelle formule.


1. Simplicité de lancement?

Dans le cadre d'une activité exercée en entreprise individuelle, le patrimoine de l'entrepreneur et celui de l'entreprise sont automatiquement confondus. La grande innovation juridique apportée par l'EIRL est de permettre aux entrepreneurs individuels de séparer leur patrimoine personnel de leur patrimoine professionnel. En effet, l'individu qui se lance en EIRL peut désigner, parmi les différents biens qu'il possède, ceux qu'il affecte à l'exercice de son activité. La loi stipule que l'entrepreneur doit obligatoirement intégrer dans son "patrimoine affecté" tous les biens nécessaires à son activité. Les biens "utiles mais non nécessaires" à l'activité peuvent être affectés ou non, au choix de l'entrepreneur.

Comme l'EIRL n'est pas une société, sa création est aisée. Il suffit que l'entrepreneur dépose une déclaration officielle donnant la liste des biens affectés et indiquant la valeur de chacun. Tous les biens immobiliers doivent faire l'objet d'un acte notarié. Quant aux biens immobiliers excédant la valeur de 30 000 euros, ils doivent faire l'objet d'une estimation établie par un expert-comptable, un commissaire aux comptes, ou une association de gestion et de comptabilité.Les artisans déposent leur déclaration d'affectation au répertoire des métiers, les commerçants au registre du commerce et des sociétés, et les professionnels libéraux au greffe du tribunal de leur lieu d'implantation.


Précaution à prendre

"En cas de doute, lorsqu'il est difficile de déterminer si un élément du patrimoine est nécessaire ou simplement utile à l'exercice professionnel, il vaut mieux le considérer comme nécessaire et le mettre en patrimoine affecté", recommande Jean-François Noël, associé au sein du groupe d'expertise comptable et de conseil BDO France. Pourquoi ? Parce qu'un entrepreneur qui exclut par erreur de son patrimoine affecté un bien nécessaire à son activité risque gros : "Il s'expose à ce que la justice remette en cause la notion de responsabilité limitée", avertit l'expert.


2. Limitation des risques?

L'EIRL est née du constat que la structure juridique de l'entreprise individuelle (EI) est très risquée. Du fait qu'en EI le patrimoine de l'entreprise et celui de l'entrepreneur sont confondus, en cas de problème, l'entrepreneur répond de ses dettes professionnelles sur la totalité de son patrimoine personnel. Le premier objectif de la loi instituant l'EIRL est de permettre à tous ceux qui veulent entreprendre sans créer une société de limiter leurs risques. Comment ? En donnant à l'entrepreneur individuel le droit de lister précisément les biens qu'il entend donner en garantie à ses créanciers professionnels. "Les biens composant le patrimoine affecté constituent le gage des créanciers professionnels. Ces derniers ne peuvent pas saisir les biens qui ne font pas partie du patrimoine affecté", explique Jean-François Noël, de BDO. A première vue, le dispositif peut sembler solide.

Malheureusement, il suffit de pousser l'analyse pour voir ses nombreuses failles... Les premières sont liées à la déclaration et à la valorisation des biens affectés. "Un entrepreneur qui exclut par erreur de son patrimoine affecté un bien nécessaire à son activité, ou qui retient pour un bien une valeur différente de celle proposée par l'expert chargé de son estimation perd le bénéfice de la responsabilité limitée !", met en garde à son tour Christophe Alberola, directeur du service juridique de Fimeco Baker Tilly.

Une foule d'embûches

En cas de manquements aux obligations fiscales, sociales ou comptables, la responsabilité personnelle du dirigeant est engagée ; et en cas de redressement fiscal ou social, le recouvrement des sommes dues s'applique à la totalité du patrimoine, personnel et professionnel. Enfin et surtout, les entrepreneurs individuels ne seront vraiment protégés par le statut d'EIRL qu'à une seule condition : si les banques n'exigent pas leur caution personnelle en garantie des crédits accordés pour leur activité professionnelle. Voyons. Jusqu'à présent, un banquier qui prêtait à une entreprise individuelle (EI) était rassuré puisqu'il savait qu'il bénéficiait d'office d'une garantie sur la totalité du patrimoine du dirigeant. Un banquier qui prêtera à une EIRL sera privé de garantie sur le patrimoine privé du dirigeant. Que fera-t-il ? Mais bien sûr, il demandera sa caution personnelle !
3. Facilité de gestion?

Contrairement aux sociétés, les entreprises individuelles ne génèrent quasiment aucune contrainte de gestion. C'est l'une des raisons pour lesquelles plus de 70 % des entreprises qui se créent chaque année sont des EI ! En inventant l'EIRL, qui n'est pas une société, le législateur a cherché à faire passer aux petits entrepreneurs un message du type : "rassurez-vous, gérer une activité sous forme d'EIRL est aussi simple que de la gérer en EI". En réalité, il existe une différence majeure entre les deux statuts. Les EI tiennent des comptes annuels pour savoir où elles en sont, mais n'ont aucune obligation de dépôt de ces comptes. A l'opposé, les EIRL sont tenus de déposer leurs comptes tous les ans, soit au registre du commerce et des sociétés, soit au répertoire des métiers, soit au greffe du tribunal. Et entre autres, les comptes de chaque exercice devront faire part des modifications intervenues dans le patrimoine affecté par rapport à l'exercice antérieur. "Par exemple, si au moment de la création de l'EIRL, l'entrepreneur a mis dans son patrimoine affecté une voiture neuve, celle-ci perdra de la valeur chaque année, et sa valorisation au bilan diminuera, décrypte Jean-François Noël, de BDO. L'idée qui sous-tend ce dispositif est que l'entrepreneur ne peut limiter sa responsabilité sans informer ses créanciers de l'évolution de leur garantie." Certes, mais il y a un hic.

"La vie des affaires est largement animée par le secret, souligne Christophe Alberola, de Fimeco Baker Tilly. Beaucoup d'entreprises normalement tenues de déposer leurs comptes ne le font pas, parce qu'elles craignent que leurs concurrents, leurs fournisseurs ou leurs clients n'en tirent des informations stratégiques. Elles préfèrent payer des amendes plutôt que de publier leurs chiffres !"
Contrainte de transparence

Pour les entrepreneurs individuels qui souhaitent garder secrets les montants de leurs actifs, de leurs dettes, de leurs recettes et leurs niveaux de marges, le statut de l'EIRL apparaît moins attirant que celui de l'EI...
4. Allégement de la fiscalité?

L'EIRL apporte pourtant un vrai plus : ce dernier est de nature fiscale. "Les dirigeants d'entreprises individuelles sont obligatoirement soumis à l'impôt sur le revenu (IR). A la différence de l'entreprise individuelle, l'EIRL donne à l'entrepreneur la possibilité d'assujettir les résultats de son activité à l'impôt sur les sociétés (IS), fait valoir Jean-François Noël. Or en effectuant des simulations, on constate qu'un entrepreneur individuel a presque toujours intérêt à être imposé à l'IS plutôt qu'à l'IR."

Pour illustrer son propos, l'associé de BDO cite l'exemple d'un entrepreneur individuel dont l'activité annuelle dégage un résultat avant rémunération du dirigeant de 60 000 euros, et qui se verse une rémunération de 24 000 euros (correspondant à 2 000 euros par mois). S'il exerce en entreprise individuelle, la totalité de son résultat avant rémunération, soit un montant de 60 000 euros, sera soumise à l'impôt sur le revenu ; et il acquittera des charges sociales sur cette même base de 60 000 euros. Si l'entrepreneur exerce en EIRL, il sera soumis à l'impôt sur le revenu et il paiera des charges sociales uniquement sur la base de sa rémunération, soit 24 000 euros. Quant à son impôt sur les sociétés, il sera calculé sur la base du résultat après rémunération du dirigeant, soit 36 000 euros. A ce niveau de bénéfice, le taux d'IS sera limité à 15 %. "Le statut d'EIRL permet donc de réaliser de bonnes économies d'impôts et de charges sociales, conclut Jean-François Noël. La seule contrainte à respecter par l'entrepreneur individuel est de ne pas prélever une rémunération supérieure à celle qu'il a déclarée. A défaut, il se mettrait dans l'illégalité."

EIRL ou EIFL ?

Au final, il apparaît que le statut d'EIRL ne confère pas à ceux qui le choisissent l'avantage d'une "responsabilité limitée", mais qu'il leur donne un réel atout fiscal. Peut-être pourrait-on le rebaptiser EIFL, pour "entrepreneur individuel à fiscalité limitée" ?
Par Nathalie Mourlot pour LEntreprise.com, publié le 15/02/2011, mis à jour le 12/10/2011

http://lentreprise.lexpress.fr/statut-creation-entreprise/ce-que-l-eirl-va-vraiment-changer_28805.html