mercredi 19 octobre 2011

Auto-entreprise – Le passage au portage salarial

L’auto-entrepreneur tient parfois trop à son indépendanceSi le succès de l’auto-entrepreneuriat ne se dément pas, celui-ci demeure une solution temporaire. Aussi importe-t-il de savoir gravir l’échelon supérieur. Et pourquoi pas de basculer vers le portage salarial ? Moins cadré financièrement, ce statut réduit cependant la liberté d’entreprendre du jeune créateur, et représente un coût non négligeable pour le porté. Deux contraintes qui, bien souvent, refroidissent les auto-entrepreneurs.

Près de trois ans après son lancement le 1er janvier 2009, le succès du régime de l’auto-entrepreneur est incontestable. Environ 900 000 créateurs se sont laissé séduire par ce régime caractérisé par sa grande simplicité. Certes, pour la première fois au mois d’août, le nombre de nouveaux entrepreneurs est passé sous la barre des 20 000, mais sur les huit premiers mois de l’année 2011, les demandes de création d’auto-entreprises représentaient encore “un peu plus de la moitié des créations d’entreprise” selon l’Insee. “Le statut de l’auto-entrepreneur a aujourd’hui atteint son rythme de croisière après deux années euphoriques qui ont suivi sa mise en œuvre”, estime Grégoire Leclerq, fondateur de la FEDAE. La principale raison du succès est bien sûr que les formalités sont réduites au minimum. Quelques minutes suffisent en effet à s’inscrire. L’effet incitatif est prouvé, puisque parmi les nouveaux créateurs, seuls 25 % auraient lancé leur activité si le nouveau statut n’avait pas existé. Parmi les auto-entrepreneurs, 47 % sont des activités de service, selon une étude réalisée par l’APCE. Ces nouveaux entrepreneurs ont donc repris à leur compte le slogan utilisé par le gouvernement lors du lancement de ce statut : zéro chiffre d’affaires égale zéro impôt. L’auto-entrepreneur ne paie des taxes et impôts que s’il réalise un chiffre d’affaires et cela sur une base forfaitaire. Pour des activités de service, les cotisations et taxes payées sont de l’ordre de 23 % du CA. “Le statut d’auto-entrepreneur comporte des avantages, en particulier sociaux et fiscaux, mais le plafond de 32 600 euros de chiffre d’affaires annuel pour les prestations de service intellectuelles reste une limite contraignante pour des consultants dont c’est l’activité principale”, tempère Renaud Vendel, associé de la société de portage ABC Portage.

En effet, si le statut d’auto-entrepreneur permet de démarrer une activité, il ne peut être que transitoire. Dès lors que l’activité se développe, il faut envisager de basculer vers un autre statut. Et pourquoi pas le portage salarial, statut au succès grandissant ? Entre indépendance et salariat, le portage salarial s’impose progressivement comme un bon compromis pour ceux qui souhaitent travailler en indépendant tout en bénéficiant du statut de salarié. Outre résoudre le problème du plafond, le passage au portage offre notamment à l’entrepreneur un soutien administratif et une protection sociale plus complète. Revers de la médaille, ce statut a un coût puisqu’il faut reverser une partie de son chiffre d’affaires à la société de portage. Enfin, il peut rebuter les entrepreneurs avides de liberté. Dans ce cas, si l’activité a vocation à devenir pérenne, la création d’une véritable entreprise apparaît indispensable.

Activité principale ou parallèleSelon la FeNPS, l’auto-entrepreneuriat et le portage salarial, loin de s’opposer, se complètent. “L’auto-entrepreneuriat a un chiffre d’affaires limité à 32 600 euros par an. Il est parfait pour les petites activités parallèles. Mais pour les gens qui souhaitent développer une activité principale sans avoir à se préoccuper des tracasseries administratives tout en bénéficiant d’une couverture sociale, le portage salarial est préférable”, assure Baudouin des Courtils, président de FeNPS et fondateur de la société de portage Abscisse Partners. Cette problématique de CA explique en grande partie le nombre élevé de consultants portés : “Chez ABC Portage, l’essentiel de nos salariés sont des consultants ou des formateurs ayant une facturation moyenne de l’ordre de 5 000 euros par mois hors taxes”, précise Renaud Vendel. “Les statuts de porté et d’auto-entrepreneur sont différents et surtout ne s’adressent pas à la même cible”, renchérit Radhia Amirat, vice-présidente du Sneps et directeur général de la société de portage ACPI. “Le statut d’auto-entrepreneur correspond parfaitement aux gens qui souhaitent dégager un revenu complémentaire. Mais au syndicat nous comptons essentiellement des consultants qui facturent des prestations autour de 500 euros HT/jour et qui atteignent donc rapidement le plafond de 32 600 euros imposé à l’auto-entrepreneur.”

Et de renchérir : “Dans cette perspective, le nombre de personnes qui viennent au portage par le statut d’auto-entrepreneur reste assez faible dans les sociétés du Sneps.” Un constat partagé par Grégoire Leclerq, de la FEDAE pour qui “le régime du portage salarial n’est pas adapté pour les auto-entrepreneurs dans la grande majorité des cas”. Les chiffres communiqués au compte-gouttes par le secrétariat d’Etat chargé du Commerce le confirment. Une part importante des auto-entrepreneurs – entre 40 % et 60 % selon les calculs – ne déclarent aucun chiffre d’affaires. De la même manière, fin 2011, le CA moyen par auto-entrepreneur ne représenterait que 2 500 euros par an. En outre concernant l’apparente simplicité administrative, et malgré un réel effort fait pour simplifier les démarches, il faut rester attentif à deux aspects très concrets : d’une part, au-delà de ces obligations réglementaires allégées, une activité professionnelle nécessite tout de même un suivi comptable, de la facturation, des contrats juridiques avec les clients, une assurance, etc. ; d’autre part, souligne Baudouin des Courtils, “l’administration semble ne pas avoir encore complètement intégré ce nouveau statut et son afflux d’inscriptions auxquelles elle n’arrive pas toujours à faire face. Il s’ensuit, semble-t-il, de très nombreux cas de tracasseries administratives imprévues pour les auto-entrepreneurs”. “A noter également que, du fait de certains abus, l’administration semble avoir reçu des instructions de fermeté qui rendent de nombreux clients réticents à sous-traiter une mission à un auto-entrepreneur”, ajoute le président de la FeNPS.

Atouts non négligeablesLe statut de portage salarial règle donc, quand il se pose, le problème du plafond de chiffre d’affaires. Mais pas seulement. Il offre également cinq autres avantages significatifs aux créateurs en herbe. En premier lieu, le statut salarial ouvre droit à la protection sociale des salariés – assurance chômage et couverture santé (notamment en cas d’arrêt maladie et d’accident du travail) – jugée préférable à celle de l’indépendant. “La plupart des salariés des sociétés de conseil classiques aspirent à plus d’autonomie ou d’indépendance, mais la perspective de rester salarié, et notamment continuer à cotiser pour la retraite, reste très attrayante. D’où le choix du portage salarial au sein des sociétés du Sneps”, témoigne Radhia Amirat. Deuxième avantage, le porté est libéré des contraintes de la gestion administrative et comptable de son activité. Il a ainsi tout loisir de démarcher ses clients, négocier les contrats et les conditions de son intervention tout en conservant l’entière maîtrise de son travail. Seuls les documents commerciaux sont établis au nom de la société de portage qui place le salarié à disposition du client, facture la prestation, perçoit les honoraires, règle les charges fiscales et sociales, etc. Entre indépendance et salariat, “le portage instaure une relation triangulaire contractuelle entre le salarié porté, son client et la société de portage”, indique Renaud Vendel. Troisième atout, selon Baudouin des Courtils, “le portage offre la sécurité juridique en termes de responsabilité civile professionnelle”.

C’est en effet la société de portage qui est responsable et non le salarié. Ce n’est pas le cas pour les statuts d’indépendant, d’EIRL ou d’auto-entrepreneurs. Quatrième point fort : l’accompagnement. Le porté n’est pas seul pour faire face à l’ensemble des aspects de son activité : la société de portage a des compétences en interne, des fournisseurs, un réseau dont elle peut faire profiter ses salariés. Elle peut proposer des formations, des conseils, faire jouer ses réseaux. Cinquième avantage : crédibilité vis-à-vis du client final. En effet affirme Baudouin des Courtils, “être adossé à une société rassure les clients du porté sur les aspects administratif et juridiques de leurs relations”. “Par ailleurs, en s’adressant à un intervenant externe sous statut salarié, le client peut mettre en avant un comportement socialement responsable, plutôt que de risquer de se voir reprocher de mobiliser des freelances sous statut plus précaire”, ajoute le président de la fédération. Dans cette perspective, comparé à d’autres statuts comme l’indépendant, l’EIRL ou l’auto-entrepreneur, le portage salarial apparaît comme le moyen le plus simple et le plus sûr pour créer ou exercer une activité autonome.

Coût en conséquenceTester son projet en toute sécurité et dans des conditions réelles peut s’avérer coûteux, notamment dans une période précaire pour le porté qui débute son activité. La rémunération du salarié porté est établie en fonction de son chiffre d’affaires net, après déduction des charges et d’une commission correspondant aux frais de gestion. Concrètement, les charges mensuelles, les cotisations sociales et les indemnités de la société de portage correspondent environ à 50 % de charges au total. Outre le salaire, le salarié peut se faire rembourser ses frais de missions ou certains investissements (nouvel ordinateur par exemple). Ainsi, un porté qui vise un salaire net de 3 000 euros devra facturer environ le double au client. Un point qui n’a pas échappé à la Fédération des auto-entrepreneurs. Selon son président, Grégoire Leclerq, “certains auto-entrepreneurs voient les sociétés de portage comme une source de coûts inutiles au regard des services proposés”. Et d’ajouter : “le passage de l’auto-entrepreneuriat au portage salarial peut être désavantageux dans une grande partie des cas, avec une perte de marge de 7 à 15 points”, prévient-t-il. En tout état de cause, pas de mauvaise surprise côté tarifs. L’immense majorité des sociétés de portage procède de la même manière en fixant leur rémunération en fonction du chiffre d’affaires, soit sans coût fixe : “Cette rémunération se situe aux alentours de 10 % du chiffre d’affaires, mais peut varier de 3 % à 15 %, selon les prestations de la société de portage”, détaille Baudouin des Courtils.

“L’ACPI, que je dirige, offre aux portés un accompagnement dans la négociation de leurs tarifs pendant la période de portage, mais également dans leur démarche de création d’entreprise, pour trouver une banque, monter un business plan, créer un site, etc.”, justifie pour sa part Radhia Amirat du Sneps. Dernier inconvénient reconnu du portage salarial : y recourir, c’est abandonner un peu de liberté. “Il ne faut pas oublier que les auto-entrepreneurs sont pour l’essentiel farouchement attachés à leur indépendance et à leur liberté”, signale à cet égard Grégoire Leclerq. D’autant que ce statut suscite l’adhésion de l’opinion publique. La quasi-totalité des Français (90 %) ont entendu parler du statut de l’auto-entrepreneur, selon la dernière étude de l’Observatoire de l’auto-entrepreneur réalisé par OpinionWay pour l’Union des auto-entrepreneurs. Surtout, l’opinion a une perception très positive de ce régime. 93 % des Français pensent que les auto-entrepreneurs se “prennent en main”, 88 % “qu’ils ont de l’audace”, 85 % “qu’ils sont malins/débrouillards”, 84 % “qu’ils sont innovants ou créatifs”. Plus qu’un simple libellé administratif, l’auto-entrepreneur est donc considéré par beaucoup comme un nouveau statut social. Dans ces conditions, et après un peu moins de trois ans d’existence, l’auto-entrepreneur a acquis une dimension symbolique pour des dizaines de milliers de personnes, qui jusque-là, n’avaient jamais imaginé pouvoir imprimer des factures à leur nom.

En plus de son coût, le portage salarial n’est évidemment pas la solution miracle menant à une création d’emploi à coup sûr. “Ceux qui ont le bagage nécessaire pour gérer leur administration n’ont d’ailleurs pas intérêt à payer ce service”, estime Grégoire Leclerq. Par ailleurs, le portage salarial ne s’adresse pas encore à tous les types d’activité. Il correspond, selon le Sneps “à tout type de travail dans lequel celui qui l’exerce est indépendant du client dans la façon de l’exécuter”. Par ailleurs, les sociétés de portage fixent des limites aux activités des clients.

Ainsi, “certaines sociétés de portage excluent les métiers réglementés (avocats, médecins, experts- comptables, etc.) et les missions dans les pays à risque, pour des raisons d’assurance”, explique Baudouin des Courtils. Ne peut donc pas être porté qui veut, ni où il le souhaite. Ce statut n’est d’ailleurs pas toujours le plus avantageux. A titre d’exemple, pour pouvoir bénéficier des subventions Oseo qui soutiennent les projets innovants, il faut avoir sa propre structure. Enfin, si l’activité a vocation à devenir pérenne, la création d’une véritable entreprise apparaît indispensable. “Au-dessus de 150 000 euros de facturation par an, la création de sa propre entreprise peut se justifier et permettre d’augmenter encore légèrement ses revenus”, estime Radhia Amirat. En tout état de cause, poursuit-elle, “faire du portage salarial pendant 2 à 3 ans permet de disposer d’une expertise réelle qui facilite la création d’une entreprise”. Ainsi, “10 à 15 % de nos portés créent leur propre entreprise dans les 2 à 3 ans, souvent lorsqu’ils ont besoin d’embaucher”, révèle la vice-présidente du Sneps.

En conclusion, le portage salarial permet de créer progressivement son entreprise en limitant les risques. “Le porté a tout loisir de tester le marché, son offre de services, son mode de fonctionnement avant de créer sa propre entreprise”, résume Renaud Vendel. L’enjeu est d’importance puisqu’avec un taux de survie de une sur cinq au bout de cinq ans, les jeunes entreprises françaises demeurent fragiles.

Portage salarial
Dans le sens de l’histoire

Historiquement, le portage s’est développé tout d’abord autour des métiers du conseil et de la formation. En effet concède Grégoire Leclerq, fondateur de la FEDAE, “le portage prend son sens dans le métier du consulting, pour les gens de 40 à 60 ans qui ont leur clientèle et qui facturent des prestations importantes”. Ce que confirme Renaud Vendel, associé de la société de portage ABC Portage : “Chez nous, on compte environ 30 % des effectifs dans les secteurs informatique- conseil, 20 % dans les métiers dans la communication, 30 % dans la formation et 20 % divers.” Pour autant, le portage commence à se développer dans de nombreux domaines. “Depuis une dizaine d’années, le portage répond également à une forte demande concernant des activités de service beaucoup plus larges, pour des clients aussi bien particuliers qu’entreprises, y compris de nombreux métiers manuels”, affirme Baudouin des Courtils, président de la FeNPS et fondateur de la société de portage Abscisse Partners.

Concernant le profil des portés, les études menées par la FeNPS montrent que le portage répond à différents besoins : environ 50 % des portés ont pour objectif d’exercer durablement leur activité sous ce statut dont ils apprécient le confort, la sécurité et l’autonomie ; et pour les autres 50 %, le portage est un moyen de transition, soit comme tremplin vers l’emploi – 35 % –, soit en vue de créer à terme leur entreprise après une période de validation et de décollage de leur projet – 15 %. Parmi ces différents profils, on trouve évidemment des demandeurs d’emploi, notamment les seniors, trouvant ainsi une alternative à un marché de l’emploi difficile, des professionnels cherchant à aménager leur temps de travail ou à mieux valoriser leurs compétences, des futurs créateurs d’entreprise, des jeunes souhaitant acquérir une première expérience en réalisant des missions, des retraités souhaitant conserver une activité et compléter leur retraite, etc. “Et l’intérêt pour le portage salarial ne se dément pas : malgré la crise depuis 2008, les adhérents de la FeNPS continuent à afficher globalement des chiffres d’affaires en augmentation, renouant même en 2010 avec une croissance à deux chiffres”, se félicite Baudouin des Courtils. “Et si les discussions en cours avec les pouvoirs publics permettent de stabiliser une réglementation cohérente, nous estimons que le portage pourrait concerner potentiellement 5 à 600 000 personnes en France à moyen terme”, estime le président de la FeNPS. Pour Renaud Vendel d’ABC Portage, “le portage salarial va dans le sens de l’histoire en proposant, dans un environnement économique instable, une solution technique : aux entreprises clientes qui souhaitent recruter des experts indépendants sans avoir recours au contrat de travail ; aux experts indépendants et consultants qui répondent positivement à ces besoins mais ne souhaitent ni créer une entreprise, ni se déclarer comme indépendants. Se faisant, la société de portage salarial participe à l’amélioration du marché de l’emploi”.

Par Pierre-Jean Leca

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