jeudi 3 mars 2016

Les femmes ont du mal à créer leur entreprise dans les quartiers populaires

EmploiPublié le lundi 29 février 2016
L'objectif de 40% de femmes parmi les entrepreneurs des quartiers de la géographie prioritaire est loin d'être atteint, souligne le Crédoc dans une récente enquête. Pourtant, les candidates ne manquent pas. De nombreux freins doivent être levés pour leur donner les mêmes chances qu'aux entrepreneurs masculins de ces zones et qu'aux femmes créatrices d'activité situées dans d'autres quartiers.
Déjà peu développé dans les quartiers liés à la politique de la ville, l'entrepreneuriat l'est encore moins pour les femmes résidant dans ces zones. C'est ce que révèle une récente étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) qui vient d'être mise en ligne. Cette recherche est basée sur les résultats de l'enquête Emploi de l'Insee et sur une enquête du Crédoc auprès de 920 habitants des quartiers prioritaires de la future métropole Aix-Marseille-Provence financée par la mission interministérielle Projet métropolitain et la Caisse des Dépôts Provence-Alpes-Côte d'Azur. Parmi les actifs occupés, "les femmes sont trois fois et demie moins souvent entrepreneures que les hommes dans les zones urbaines sensibles (ZUS), contre deux fois moins dans les quartiers hors ZUS. 2% des femmes en emploi sont entrepreneures dans les ZUS, contre 6%, soit trois fois plus, hors ZUS". Leur part parmi les entrepreneurs est de 22%, contre près d'un tiers (32%) dans les autres quartiers. "On est donc loin aujourd'hui de l'objectif de 40% de femmes parmi les entrepreneurs des quartiers de la géographie prioritaire", commentent les auteurs de l'étude.
Ces femmes entrepreneurs sont pourtant souvent plus diplômées que les hommes des ZUS également créateurs d'entreprise. Autre caractéristique : elles sont aussi bien moins souvent étrangères que les hommes entrepreneurs : 10% contre 27%. Enfin, elles vivent bien plus souvent seules, sans conjoint, ni enfant : 28% contre 15% des femmes entrepreneures des autres quartiers et 15% des hommes entrepreneurs des ZUS. "Tout se passe comme si les postulantes à la création d'entreprise des ZUS, plus fragilisées que les autres entrepreneures, anticipaient ou se voyaient contraintes d'anticiper plus que les autres le fait que, si la mise en couple profite à la carrière des hommes, elle nuit à celle des femmes", analyse le Crédoc.

Peu de salariés et des revenus faibles

Ces entrepreneures des quartiers prioritaires emploient rarement un ou plusieurs salariés : 20%, soit une sur cinq, contre un sur trois des hommes entrepreneurs des ZUS (31%) et des femmes entrepreneures hors ZUS (33%). De plus, les revenus dégagés par leur entreprise sont faibles: dans les ZUS, six femmes entrepreneures sur dix déclarent des revenus inférieurs à 15.000 euros annuels avant impôt, contre la moitié de leurs confrères des ZUS et un peu moins de la moitié des entrepreneures hors ZUS. Les entrepreneures des quartiers populaires sont aussi hyperspécialisées dans les services aux particuliers : 30% interviennent dans ce secteur, contre 17% de leurs consœurs des autres quartiers. Elles investissent très peu les services aux entreprises et le secteur santé-social-administration publique.
Le Crédoc a testé en 2015 auprès de près de 1.000 habitants des quartiers de la politique de la Ville de la future métropole Aix-Marseille-Provence l'aspiration à la création d'entreprise (activité, commerce, petite entreprise). Premier constat : "[Cette] aspiration n'est que légèrement plus faible chez les femmes, 35% contre 40% des hommes." La part des femmes parmi les candidats à la création atteint 49%. Pour le Crédoc, "en première analyse, l'objectif de 40% de femmes parmi les créateurs d'entreprise des quartiers de la géographie prioritaire paraît réaliste". Ces aspirantes d'Aix-Marseille-Provence disposent cependant de moindres atouts que leurs confrères. Elles sont à la fois moins diplômées, ou d'un niveau scolaire moins élevé (30% ont un niveau lycée ou supérieur, contre 36% des hommes), moins disponibles pour se consacrer à leur projet de création, du fait de la présence plus fréquente d'enfants (63% annoncent la présence d'enfants dans le ménage, contre 36% des hommes), plus éloignées du marché du travail comme en témoigne leur taux d'inactivité nettement plus important (28% déclarent être inactives hors retraite, études et formation, contre 15%), et moins souvent titulaires du permis de conduire (44% contre 51%).
L'étude montre aussi que la création d'entreprise est, pour les femmes des quartiers liés à la politique de la ville, un processus très sélectif qui retient des femmes particulièrement diplômées, ce qui n'est pas le cas des autres aspirantes à la création. D'autre part, un décalage important apparaît entre les secteurs investis par les entrepreneures des ZUS et ceux identifiés par les aspirantes à la création. Nombreuses sont celles qui doivent en effet faire le deuil d'un projet de création d'un commerce, hôtel, café, restaurant pour s'orienter plutôt vers les services. Au final, soulignent les auteurs de l'étude, l'objectif de 40% pourrait être atteint si se met en place une "politique d'aide à la création à la fois volontariste et multiforme pour cibler la sensibilisation à la création d'entreprise, la levée des freins à la mobilisation des femmes (accueil de la petite enfance, amélioration de l'offre de mobilité), la connaissance du monde du travail et de l'entreprise, l'accompagnement individuel et collectif des futures créatrices (définition du projet d'entreprise, pertinence du business model, information sur la réglementation) et des entrepreneures (aide au développement, parrainage, soutien aux réseaux d'entrepreneures), l'accès à des financements et des locaux adaptés, etc.)".
Valérie Grasset-Morel

source : http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=1250270374392&cid=1250270371247