mercredi 4 décembre 2013

Extrapreneuriat, quand les salariés deviennent entrepreneurs

Au-delà de l'essaimage : extrapreneuriat, quand les salariés deviennent entrepreneurs

Par Pascale Brenet*, enseignant-chercheur en entrepreneuriat | 03/12/2013

Derrière le terme d’extrapreneuriat se cache la création d’entreprise par des salariés issus d’une même entreprise et restant en lien avec celle-ci. Une forme de création riche, porteuse d’innovations, mais méconnue.

L'extrapreneuriat, une forme encore peu connue d'e
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L'extrapreneuriat, une forme encore peu connue d'entrepreneuriat par des salariés
L'extrapreneuriat est la création d'entreprise par un ou plusieurs salariés issus d'une organisation parente, création prenant appui sur des actifs tangibles ou intangibles issus de cette organisation et conduite avec ou sans son soutien explicite. En France on connaît l'essaimage qui est souvent associé aux plans sociaux ; on parle plus rarement des spin-off, comme s'il s'agissait d'un phénomène lointain et réservé à la haute technologie. C'est un peu comme si l'extrapreneuriat n'existait pas, au contraire de l'entrepreneuriat, qui suscite de multiples intérêts, et  de l'intrapreneuriat, qui a été mis en valeur tant par des chercheurs académiques que par des grandes entreprises.

Gemalto et Infogrames, deux cas d'école de l'extrapreneuriat
Et pourtant, quelques exemples mettent en lumière l'intérêt de l'extrapreneuriat. Tout le monde connaît aujourd'hui Gemalto, leader mondial du marché de la carte à puce issu de la fusion entre Gemplus et Axalto. Gemplus a été créée en 1986 par Marc Lassus qui a quitté le groupe Thomson. Sans les recherches opérées au sein de Thomson et sans le très riche parcours professionnel de Marc Lassus au sein du groupe, Gemplus n'aurait pas vu le jour et surtout n'aurait pas connu un tel succès fondé sur l'innovation et le développement international.

Les amateurs de jeu vidéo se souviennent d'Infogrames, qui a été pendant les années 90 en position de tête aux côtés d'Ubisoft parmi les éditeurs français de jeu vidéo. Durant les années 2000, ils ont été témoins des grandes difficultés d'Infogrames qui se sont soldées par le rachat de la société par des investisseurs en 2008 et par sa profonde restructuration sous la marque Atari. On estime à une centaine le nombre d'entreprises créées par la diaspora Infogrames, sur environ 2.000 personnes employées durant les 25 ans d'existence de la société, dans des activités le plus souvent en lien avec le jeu vidéo. Les compétences issues d'Infogrames ont ainsi irrigué le domaine des industries créatives de l'image et du jeu vidéo dans la région Rhône-Alpes. Infogrames avait créé un incubateur interne permettant aux talents créatifs de se révéler et avait attribué des primes à la création d'entreprise dans le cadre de ses plans sociaux.

Le secteur des biotechnologies s'appuie sur la capacité d'innovation et sur l'agilité desstart-up qui le constituent pour une bonne part. Dans ce secteur intense en connaissances, il ne peut y avoir de création d'entreprise sans une forte expérience préalable du créateur dans la recherche ou l'industrie.


Des salariés entrepreneurs font circuler la connaissance

Ce qui caractérise ces quelques exemples, c'est le potentiel de valeur et de croissance que représentent ces jeunes sociétés qui se sont appuyées au moment de leur création sur des compétences et des actifs, le plus souvent immatériels, issus de l'entreprise parente. L'extrapreneur joue ici un rôle particulièrement intéressant : il assure la circulation des connaissances et leur valorisation par une nouvelle organisation. Il évite ainsi qu'une technologie ne soit négligée ou purement abandonnée car elle n'est pas stratégique pour un groupe tel que Thomson. Il permet la persistance  d'un métier et d'une capacité de création au-delà de la disparition d'Infogrames. Il permet la diffusion de connaissances à travers les frontières des grandes et des petites entreprises dans le secteur de la pharmacie et des biotechnologies, circulation qui s'accompagne de mouvements stratégiques d'acquisition, de fusion et de partenariat.

Mais cette circulation est loin d'être facile et naturelle : pour devenir entrepreneur, le salarié doit réussir un véritable désencastrement : il doit passer d'un univers à un autre, assumer un changement de statut avec la prise de risque que cela entraîne. Il doit être médiateur des connaissances issues de l'entreprise parente vers le marché. Ceci nécessite du temps, un accompagnement et des moyens financiers, qu'apportent par exemple les incubateurs dans le cas de la création d'entreprise par les chercheurs.

Du côté de l'entreprise parente, laisser circuler les connaissances  n'est pas non plus chose facile. Cela relève de la gestion de son portefeuille d'actifs et aussi de la gestion des ressources humaines. Pourquoi laisser partir les salariés qui sont sans doute parmi les plus dynamiques ? Comment régler les questions de propriété intellectuelle ? Pourquoi et comment accompagner ces circulations ? Comment faire converger les initiatives individuelles de certains salariés et la gestion des actifs immatériels ? L'extrapreneuriat suppose que l'entreprise parente accepte de se séparer de certains actifs. Mais peut-être pourra-t-elle y revenir par des partenariats, des prises de participation ou des acquisitions.


Un phénomène essentiel mais peu connu

On n'a pas aujourd'hui une vision précise du phénomène de l'extrapreneuriat : sur un plan statistique, on sait que la création d'entreprise par les salariés représente environle tiers des créations selon l'INSEE. Mais de quel type de création s'agit-il ? On ignore quelle est la part des créations ayant un lien avec l'activité antérieure du créateur et avec des actifs ou des compétences développés dans l'entreprise parente.
On connaît la nécessité économique et sociale de la création d'entreprises à potentiel de valeur et de croissance. Il est un vecteur de la circulation des connaissances à travers les frontières mouvantes des entreprises et participe au renouvellement du tissu industriel. A ce titre, il semble urgent d'explorer la question de l'extrapreneuriat et de lui faire la place qu'il mérite au sein du champ très riche de l'entrepreneuriat.

* Responsable du Pôle Entrepreneuriat-Etudiant Université de Franche-Comté, auteur de " Extrapreneuriat : quand les salariés deviennent entrepreneurs" dans  " Le Grand Livre de l'Entrepreneuriat", Dunod, Octobre 2013.
Grand Livre de l'Entrepreneuriat
Crédits photo : Dunod


source : http://business.lesechos.fr/entrepreneurs/aides-reseaux/pourquoi-l-extrapreneuriat-n-existe-pas-57438.php